Et si l’on pouvait prédire la formation de métastases grâce à l’architecture interne des cellules de mélanome ?
Comment prédire la dangerosité d’un mélanome cutané et éviter sa progression ? Des chercheurs français ont montré que l’organisation interne des cellules cancéreuses évolue en fonction du stade de progression de la maladie. Ils ont ainsi identifié les lysosomes, des petites usines cellulaires, comme une nouvelle cible potentielle pour le diagnostic et les thérapies contre le mélanome.
Le mélanome cutané est un problème de santé publique majeur : s'il est pris en charge tôt, les chances de guérison sont assez élevées, mais une fois qu'il se propage dans l'organisme et forme des métastases – ou tumeurs secondaires –, il entraîne souvent une issue fatale. L’équipe de Jacky Goetz à Strasbourg cherche à comprendre comment les cellules cancéreuses envahissent de nouveau organes. A travers une collaboration avec des équipes expertes en biologie cellulaire et un dermatologiste strasbourgeois (Prof D.Lipsker, HUS, Strasbourg), elle a ainsi dévoilé que la disposition des lysosomes, des usines cellulaires, reflète l’agressivité du mélanome dans des biopsies de patient. Cette découverte ouvre la voie vers l’élaboration de nouveaux diagnostics et traitements potentiels.
La recherche fondamentale : à l’origine des thérapies futures
L’immunothérapie et les thérapies ciblées ont récemment augmenté la survie des patients. Néanmoins, ces traitements rencontrent des résistances, entraînent des effets secondaires et perdent de leur efficacité lorsque des métastases apparaissent. Ces limites poussent les chercheurs à trouver des thérapies moins nocives et à mieux prévoir l’évolution potentielle de la maladie pour adapter au mieux le traitement. Pour développer des traitements alternatifs, il faut comprendre comment fonctionnent les cellules tumorales. L’équipe de Jacky Goetz (INSERM, U1109), sous la houlette de Vincent Hyenne et de Katerina Jerabkova-Roda, en collaboration avec celles de Kristine Schauer (Institut Curie/Gustave Roussy, Paris) et Philipe Rondé (CNRS, UMR7021), s‘est penché sur les mécanismes permettant aux cellules tumorales d’envahir les tissus et de former des tumeurs secondaires. Ils ont ainsi découvert que les lysosomes de cellules de mélanome ont une organisation différente par rapport à ceux de cellules saines.
Les lysosomes : des organes au centre de la formation de métastases
Au début de la formation de métastases, les cellules tumorales se faufilent dans les tissus en dégradant le réseau fibrillaire matriciel qui leur barre la route. Pour cela, les cellules utilisent leurs lysosomes, qui produisent des enzymes de dégradation, sortes de ciseaux moléculaires, qui découpent les fibres de matrice présentes à proximité. (Les lysosomes permettent donc à la fois de dégrader des éléments à l’intérieur et à l’extérieur de la cellule.) Selon leur position dans la cellule, ils favorisent soit la croissance des cellules (lorsqu'ils se trouvent au centre), soit leur déplacement (lorsqu'ils sont à la périphérie).
Les chercheurs ont voulu comprendre comment la localisation des lysosomes change au fil de la progression du cancer et quel rôle ces changements jouent dans la formation des métastases. En étudiant des cellules de mélanome provenant de patients à différents stades de progression de la maladie), ils ont constaté que, plus le cancer avance, plus les cellules sont capables de détruire leur environnement proche et d’envahir les tissus. Cette augmentation de leur agressivité est liée au déplacement des lysosomes vers la périphérie des cellules. La relocalisation des lysosomes se traduit par la surexpression des gènes KIF, des moteurs moléculaires qui régulent le transport des lysosomes vers la périphérie des cellules. Grâce à des biopsies de patients, les chercheurs ont confirmé que la relocalisation des lysosomes contrôle l’invasion des cellules tumorales. Lorsque l’on empêche les lysosomes de se déplacer vers la périphérie des cellules, on peut limiter l’invasion des tissus par les cellules cancéreuses et la formation de métastases dans deux modèles animaux, le poisson zèbre et la souris. Ces données confirment l'importance de la localisation des lysosomes à l’intérieur des cellules de mélanome dans la progression du cancer.
Cibler les lysosomes : vers de futurs diagnostics et thérapies ?
Cette nouvelle découverte ouvre la voie vers de nouveaux diagnostics et potentielles thérapies. Prédire si le cancer risque d’évoluer vers une forme métastatique ou non pourrait permettre un traitement personnalisé pour chaque patient. Aujourd’hui, aucun marqueur moléculaire ne permet de prévoir le devenir métastatique du mélanome dès les phases précoces du cancer. Grâce à la collaboration entre les équipes de recherche de Strasbourg et de Paris, la localisation des lysosomes, réalisée sur des biopsies de patient, pourrait être un futur marqueur prédictif supplémentaire de l’évolution du mélanome vers ses formes les plus fatales.
De plus, les mécanismes moléculaires à l’origine de la relocalisation des lysosomes pourraient devenir de potentielles cibles thérapeutiques. Les chercheurs ont mis en évidence que les gènes KIFs sont responsables du changement de position des lysosomes et pourraient à l’avenir être au centre de thérapie. De nouvelles recherches sont donc nécessaires pour identifier les meilleures approches permettant de contrôler la position des lysosomes pour limiter les métastases de mélanome.
Retrouvez le communiqué du CNRS
Source : Jerabkova-Roda, K., Peralta, M., Huang, KJ., [...], Jacky G Goetz, Peripheral positioning of lysosomes supports melanoma aggressiveness. Nat Commun 16, 3375 (2025). https://doi.org/10.1038/s41467-025-58528-5
Contact : Jacky Goetz, jacky.goetz[at]inserm.fr